En quoi l’évangélisation de nos jours est -elle « nouvelle » ? il y a
plusieurs raisons à cela. La première est simple et elle vise tout
particulièrement les pays que l’on appelle « de vieille chrétienté »,
l’Europe, l’Amérique entre autres. Si la foi , comme adhésion à Jésus
Sauveur demeure encore assez majoritaire (80% de français se disent
catholiques), elle est souvent vécue comme une simple référence,
importante, ou comme une appartenance revendiquée. Mais pour beaucoup (qui
par exemple continuent à faire baptiser leurs enfants) elle n’est plus
guère une foi vivante qui engage la vie et invite à une pratique
personnelle des signes de la vie chrétienne. E t l’on est obligé de
constater que les multiples efforts d’évangélisation qui ont été tentés
(celle du monde ouvrier, celle des scientifiques, des techniciens, etc.)
plafonnent très vite. Beaucoup de chrétiens déclarés se contentent de
maintenir leur vitesse de croisière, avec comme seule référence, les quatre
grands actes de la vie chrétienne : le baptême, la profession de foi, le
mariage et les obsèques. Ils vivent dans une totale bonne conscience qui
leur fait penser que « Dieu n’en demande pas tant ».
Autre raison : évangéliser c’est proclamer une bonne nouvelle capable de
changer la vie de ceux qui en reçoivent l’annonce. Jésus est venu pour
sauver l’humanité et chaque croyant en reçoit en même temps l’assurance et
la joie : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi ! » (Ga 2,20). Or
aujourd’hui la foi chrétienne n’apparaît plus vraiment comme une bonne
nouvelle. Beaucoup y voient seulement un rempart pour la morale, quand
encore ils n’en récusent pas les rigueurs, trop exigeantes dans notre monde
hédoniste, à la recherche du plaisir immédiat. Le matérialisme et la
société de consommation ont fait dériver le bonheur vers la jouissance
immédiate et cela suffit à beaucoup, qui ne voient guère de quoi ils ont à
être sauvés.
On constate aussi depuis quelques décennies, un net affaiblissement de la
religion populaire, faite de pratiques diverses, qui sont l’expression
d’une foi très affaiblie, d’une appartenance plus sociologique que
personnelle et engagée. S’il est vraie que la pratique saisonnière demeure
encore (les pratiquants de Noël et de Pâques, ou ceux de la Toussaint et
des Rameaux), elle a beaucoup baissé.
En outre, alors qu’il y a encore trente ans, une majorité d’enfants en âge
scolaire suivait le Catéchisme, ils ne sont plus environ aujourd’hui que
30% et cela même dans les régions jadis réputées chrétiennes. Certes les
nombre de baptêmes d’adultes a beaucoup augmenté (au moins 350 en France
cette année 2004), mais c’est aussi parce que les baptêmes d’enfants sont
eux aussi moins nombreux. Et cela témoigne d’un important éloignement de la
foi pour une majorité d’hommes et de femmes d’aujourd’hui.
Ces diverses constatations ont depuis une dizaine d’années posé question à
l’Eglise, comme aux Eglises de divers pays. Dès 1994, la Conférence des
Evêques de France présentait un rapport intitulé : Proposer la Foi dans la
société actuelle, repris quelques années plus tard dans la Lettre aux
catholiques de France. Le cardinal Koenig archevêque de Vienne en Autriche
et le cardinal Lustiger, archevêque de Paris ont lancé une Mission
d’évangélisation pour les grandes villes : Vienne, Paris et autres
capitales européennes. Autrefois comme au XVIIème siècle avec Grignon de
Montfort, Jean François Régis et autres missionnaires, c’était le monde
rural qu’il fallait évangéliser et ces régions sont restées longtemps
chrétiennes.
Aujourd’hui dit le cardinal Lustiger, ce sont les villes qui sont plus
pratiquantes que les campagnes : c’est donc elles qu’il faut évangéliser en
priorité. Je me souviens que pendant les vacances de mon enfance, c’était «
les parisiens » qui pratiquaient, et non pas les ruraux de ce pays
déchristianisé depuis des siècles...
Il faut donc une évangélisation nouvelle, parce que pour une part très
importante, la foi héritée du passé s’est perdue. Mais aussi parce que les
conditions même de la vie sont aujourd’hui très différentes. Ainsi il n’y a
plus guère de vrais ruraux mais des citadins dont quelques uns vivent à la
campagne. De plus comment évangéliser notre société de consommation, plus
apte à créer des besoins nouveaux qu’à ouvrir sur une recherche spirituelle
?
Il est vrai qu’un nombre important de nos contemporains recherchent
aujourd’hui les voies d’une spiritualité qui donne une âme à leur
existence. Mais beaucoup la cherchent dans les spiritualités asiatiques ou
dans les syncrétismes du New Age, plutôt que dans la foi chrétienne qui
pour beaucoup est plus ou moins disqualifiée : ce n’est plus vers l’Eglise,
que spontanément on regarde.
Nouvelle évangélisation donc : nouvelle parce qu’il faut la refaire, en un
monde qui a oublié sa foi traditionnelle ; nouvelle parce que le monde a
changé et que les méthodes ou les chemins d’autrefois ne sont plus en phase
avec le monde d’aujourd’hui. Deux faits orientent cette nouveauté de
l’évangélisation. Tout d’abord la diminution significative du nombre de
prêtres, des religieux et religieuses. Jusque vers 1970, c’est eux qui
avaient assuré l’évangélisation : missions à l’intérieur (au cœur des
vieilles chrétientés) ou missions lointaines, congrégations fondées par
Grignon de Montfort, Alphonse de Ligori, le Cardinal Lavigerie et tant
d’autres.
Second facteur : la prise en charge de l’évangélisation des divers milieux
sociaux par les laïcs : Action Catholique sous toutes ses formes, grands
mouvements spirituels : Foyers de Charité, Retraites Spirituelles, etc. Et
nouveaux mouvements ecclésiaux : Equipes Notre-Dame (1948), Renouveau
Charismatique (1970), Néo-Catéchuménat, Mouvement des Focolari (1943) et
tant d’autres.
La nouvelle évangélisation sera donc avant tout le fait de chrétiens
laïques, témoignant de leur foi dans leur vie quotidienne, dans leur
travail, dans leur entourage, dans leurs engagements publics ou ecclésiaux.
Le rôle des prêtres et religieux sera d’abord de les animer
spirituellement. Elle sera aussi l’œuvres des nouveaux Mouvements
d’Eglises, le plus souvent fondés, animés et dirigés par des laïcs. Le Pape
Jean-Paul II attend beaucoup de ces nouveaux Mouvements qu’il a rassemblé
dans une même vision, à la Pentecôte 1998 à Rome et auxquels il donne toute
sa confiance.
La nouvelle évangélisation : un défi lancé à tous les chrétiens, pour
qu’ils annoncent la foi qu’ils ont reçue et dont ils vivent, et que sans
doute, tant d’hommes et de femmes attendent confusément. Sans oublier que
la nouvelle évangélisation demande que chacun commence par se «
ré-évangéliser » lui-même.