Jésus lui-même a posé un jour cette question à ses disciples : « Et vous, qui dîtes-vous que je suis ? ». L’Evangile nous dit que Simon Pierre lui a répondu alors : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et Jésus de répondre : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 16, 15-17)
Cette profession de foi arrive quelques mois avant la dernière montée à Jérusalem : elle est l’aboutissement de presque trois années de vie missionnaire aux côtés de Jésus. Pourquoi Pierre a-t-il attendu tout ce temps pour reconnaître enfin la véritable identité de Jésus ? Une seule journée en compagnie du Seigneur ne suffisait-elle pas ?
Pour comprendre que Jésus était un homme exceptionnel doté de pouvoirs non-moins extraordinaires, une journée suffisait sans doute. Mais ce n’était pas suffisant pour affirmer qu’il était le Fils de Dieu ! Pour les juifs, penser que Dieu puisse se faire homme était une chose inimaginable. Ils attendaient le Messie, mais ils ne pouvaient imaginer que ce Messie puisse être Dieu lui-même ! Les juifs n’osaient même pas prononcer, ni écrire le nom de Dieu ! Pour dire « Dieu », - ou plutôt, pour éviter de le dire - ils utilisaient un « tétragramme », c’est-à-dire une sorte de sigle formée par quatre consonnes, JHWH et donc imprononçable. Imaginez ce qui se serait passé si Jésus, à peine réunis les premiers disciples, leur avait annoncé qu’il était Dieu : tous l’auraient pris pour un fou et ils seraient rentrés chez eux !
Alors, qu’a fait Jésus ? Il s’est fait connaître « graduellement », en gagnant jour après jour la confiance des personnes qui le suivaient. Ses disciples ont d’abord vu qu’il accomplissait des miracles prodigieux ; Ils se sont ensuite rendu compte que cet homme savait les comprendre mieux que quiconque, qu’il était capable de leur révéler leurs désirs les plus profonds ; Puis ils ont constaté que ses enseignements étaient vraiment les clefs pour comprendre pleinement le mystère de la vie. Petit à petit, ils se sont rendus compte que toutes les allusions prophétiques contenues dans les Écritures se réalisaient parfaitement en Lui. Quand enfin s’était formé un profond climat de confiance et d’estime entre les disciples et Jésus, il leur a révélé son identité. Notez la délicatesse de Jésus : il n’a jamais cherché à s’imposer à eux, mais les a conduit doucement à faire ce « pas de la foi », parfois en leur tendant des perches, comme dans le passage de l’Évangile cité plus haut.
Mais ce n’est pas tout : Peu de temps après cet évènement, l’Évangile nous dit que Jésus a emmené Pierre et deux autres disciples à l’écart, sur une haute montagne. Et là, « il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. (...) Une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le." » Mt 17, 1-9. Cet évènement nous montre combien la foi chrétienne se distingue radicalement du "bla-bla" théologique. Le christianisme n’est pas une doctrine parmi tant d’autres : c’est avant tout l’expérience d’une rencontre personnelle avec Dieu.
Le psalmiste avait prophétisé que la pierre rejetée par les bâtisseurs, allait devenir la pierre de faîte (Ps 118, 22). Le Christ reprendra ouvertement cette mystérieuse prophétie à son compte, en réponse aux critiques des pharisiens (Mt 21, 42) : la pierre de faîte, c’est Lui, le Fils de Dieu, qui sera rejeté par les grands prêtres et les docteurs de la loi... pour devenir ensuite la clef de voûte de la nouvelle Eglise. Car c’est précisément pour avoir reconnu être le Fils de Dieu, qu’il sera condamné à mort (Mt 26, 63-64). Notez bien que Jésus n’a pas imposé sa divinité lors de son procès, quand bien même il aurait eu le droit de le faire. Mis en demeure d’affirmer sa filiation divine, il répond simplement, pour rendre témoignage à la vérité : « Je le suis. » (Lc 22, 70).
Reconnaître que Jésus est le Fils de Dieu devient dès lors la pierre d’achoppement qui divise l’humanité : « Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu. » (Jn 3, 18) Les disciples étaient tombés à genou, après avoir contemplé la gloire du Fils de Dieu sur le Mont Tabor. Les grands prêtres feront tomber le Christ à leurs genoux avant de le conduire au Mont Golgotha pour crucifier celui qu’ils avaient jugé indigne d’être le Fils de Dieu. C’est ainsi que la lumière confond ceux qui sont dans les ténèbres.