Au contraire ! Le christianisme a révolutionné les mentalités en affirmant au sein d’un monde antique pénétré par l’idée d’infériorité de la femme, l’égale dignité des deux sexes aux yeux de Dieu. Saint-Paul n’affirme-t-il pas dans son épître aux Galates (III,28) : "Il n’y a plus ni juif, ni Grec, ni maître, ni esclave ; ni homme, ni femme. Vous n’êtes qu’un dans le Christ Jésus" ? Comme le souligne Monique Piettre : "désormais le rite d’élection n’est plus le signe, exclusivement réservé aux mâles et inscrit dans la chair, qu’était la circoncision hébraique, mais un sceau invisible imprimé sur les âmes et offert à tous et à toutes : le baptême". Cette égalité de dignité était déjà affirmée dans la Genèse : "Dieu créa l’homme à Son Image, à l’image de Dieu Il le créa, homme et femme il les créa".
Par ailleurs, Dieu a tout de même choisi de s’incarner dans le sein d’une femme (il aurait pu descendre sur terre adulte...), et tout son plan de salut était suspendu au "oui" de cette femme, la Vierge Marie, qu’Il a donnée comme mère à tous les hommes...On devrait méditer davantage les propos de Jean Guitton : "la personne la plus parfaite de notre monde moral se trouve avoir été choisie dans le sexe le plus faible".
Elle l’était avant que le christiannisme ne pénètre dans l’Empire : le droit romain frappe toute femme d’incapacité. Perpétuelle mineure, la jeune fille passait de la tutelle de son père à celle de son mari ou restait sous la dépendance constante de paterfamilias. L’épouse était systématiquement reléguée hors de la sphère politique, pouvait être répudiée par son mari, et celui-ci pouvait même la tuer si elle se rendait coupable d’adultère à son égard, sans être lui-même inquiété quand il manquait au devoir de fidélité conjugale.
Le premier à avoir stigmatisé l’adultère masculin est le Christ (Mat V,28), alors même qu’il s’est opposé à la lapidation de la femme adultère.
Il a justement restauré au sein du couple l’harmonie de l’homme et de la femme, instituée par le Créateur au commencement du monde, et brisée par le péché originel, qui introduisit dans les rapports conjugaux la convoitise et la domination. C’est pourquoi le Christ exige que la monogamie conjugale gage d’une égale dignité de l’homme et de la femme, vrai progrès par rapport à la répudiation antique, toute femme était désormais libre de refuser un époux qui lui serait imposé par ses parents contre son gré. Certes, l’Eglise a dû longtemps dû combattre pour imposer ses principes, mais sans sa contribution, le pire eût été imaginable.
On trouve effectivement de nombreuses traces d’une interprétation erronnée du récit de la Genèse, sous l’influence de courants de pensée paienne. Par exemple chez le prêtre et théologien Tertullien (155-220). Mais il n’est ni docteur de l’Eglise, ni saint, ni exégète. L’éxégèse classique du texte de la chute attribue la responsabilité du péché à l’homme comme à la femme, en y voyant avant tout la faute collective de l’humanité pécheresse.
D’ailleurs, la plupart des pères de l’Eglise ont mis l’accent sur les devoirs du mari à l’égard de sa femme, le don mutuel des époux, la condamnation- totalement révolutionnaire pour l’époque - de l’adultère masculin. Saint Grégoire de Naziance, par exemple évêque de Constantinople (IVème s.) s’indigne de ce que "l’épouse qui déshonore le lit nuptial subit les dures sanctions de la loi. Mais l’homme trompe impunément sa femme.[..]Ce sont des hommes qui ont rédigé notre code, aussi les femmes sont elles défavorisées. Autre est la volonté de Dieu."
Pure légende ! Qui vient d’une mauvaise interprétation du concile de Mâcon de 585. Dans son Histoire des Francs, Saint Grégoire de Tours (IVème s) relate en effet une conversation privée qui eût parmie certains évêques en marge des débats du synode, dont les travaux portaient sur des questions d’ordre pratique (les devoirs des fidèles et du clergé) : l’un d’eux affirma qu’"une femme ne pouvait être dénommée homme". Preuve du mépris du clergé vis-à-vis de la femme ? Non ! Simple question de vocabulaire : le terme homo qui veut dire l’homme dans son sens générique (l’espèce humaine), s’appliquait de plus en plus au sexe masculin, désigné jusque-là par le mot vir qui permettait de le distinguer de la femme (mulier). L’évêque déplore simplement cette confusion, déjà entré dans les moeurs, du substantif home avec celui de vir, espérant qu’on ne l’appliquera pas à la "mulier".
De cette anecdote, l’historiographie balbutiante du XIXème siècle en a fait une controverse doctrinale qui perdure encore aujourd’hui, malgré les démentis des historiens les plus sérieux, par exemple Duby.
De quel Moyen-Age parle-t-on ? L’expression même est absurde car elle désigne une période de mille ans aux contrastes les plus saisissants. En tout cas, l’âge d’or du Moyen-Age (fin XIème/début XIVème) a porté la femme aux nues. C’est l’époque où les invasions et pillages, dont les femmes étaient les premièrs victimes cessent. L’Eglise insiste de plus en plus, lors des conciles qu’elle tient à quatre reprises au Latran, sur la liberté de consentement des époux et sur la prohibition de l’inceste, mesure qui vise surtout à éviter que la jeune fille soit poussée à épouser un de des cousins, qui vit déjà souvent sous le même toît qu’elle. Enfin, les croisades permettent aux femmes qui y participent de découvrir le raffinement de la civilisation orientale et à celles qui restent au pays de prendre en la gestion des affaires de leur mari.
Trois mots au sens nouveau expriment la considération de la femme par la sociéte médiévale :
L’hommage, qui renvoie traditionnellement aux rapports du vassal envers son seigneur devient une marque de considération spécifique envers la femme.
Celle-ci est désormais appelée une dame, à l’image de Notre-Dame, la Vierge Marie.
La courtoisie n’est plus un simple code de bonne conduite élémentaire, elle devient une forme de dévouement extrême, mâtinée d’une sentiment amoureux théoriquement platonique, qu’accomplît le chevalier au nom de l’honneur, à l’égard de la dame de ses pensées.
Couronnant le tout, la dévotion mariale à l’égard de la Vierge prend une ampleur considérable qui ne peut pas ne pas influencer la vision que les hommes ont des femmes.
Pour ce qui est de la culture, rappelons tout d’abord que le premier traité d’éducation ne date pas du XVIème siècle , mais du IXème et qu’on le doit à une mère de famille, Dhuoda, élève d’écoles carolingiennes. Mais c’est véritablement au XIIème siècle, après une longue période de chaos, que l’école dispense son savoir aux garçons comme aux filles, dès l’âge de 3 ans et jusqu’à l’université (ou le couvent pour les femmes, mais le programme est le même). Citons, par exemple le cas d’Héloise, l’une des femmes les plus cultivées d’Occident au XIIème siècle, qui manie aussi bien le grec que le latin classique. Fille de paysan, elle n’a fait pourtant que suivre la scolarité au couvent d’Argenteuil.
Sur le plan professionnel, l’urbanisation massive du pays à partir du XIème siècle joue nettement en faveur des femmes. Elles sont présentes dans la quasi totalité des corporations (sauf celles qui exigent un effort physique intense), y effectuent le même travail que les hommes et peuvent, comme eux, devenir maître d’oeuvre (plus haut degré hiérarchique au sein des corporations). Quantité de métierrs artisanaux leur sont donc ouverts, voir réservée (ceux de la soie par exemple). Il existe même des prud’femmes chargées de défendre les intérêts de ces dernières au sein de la corporation.
Sur le plan politique enfin, rappelons le rôle exceptionnel qu’on eut alors certaines femmes : Aliénor d’Aquitaine, dont les frasques conjugales sont l’origine lointaine de la guerre de cent ans. Blanche de Castille, sa petite fille, qui fut régente du royaume à plusieurs reprises pendant les deux croisades de son fils Saint Louis. Sainte Jeanne d’Arc ou encore Sainte Catherine de Sienne qui, à trois reprises, donna l’ordre au Pape de quitter Avignon pour Rome. Sur plan électoral, enfin, on trouve à l’échelle nationale, des femmes électrices pour la désignation des députés aux Etats Généraux (exemple en Tourraine en 1308), et au plan local, des veuves et célibataires participent aux assemblées communales.